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Midi Libre: Les trois yeux du photographe Robert Marcel Becker

Les trois yeux du photographe Robert Marcel Becker

Les trois yeux du photographe Robert Marcel Becker

«  Sous son ŒIL  »

Dès l’enfance, Robert Becker a été fasciné par l’image en mouvement des films / documentaires projetés mensuellement par les Pères Missionnaires où il étudiait et c’est ainsi qu’est née sa vocation de capteur / metteur en scène d’images.

C’est donc tout naturellement qu’il se tourne vers le métier de photographe dont le professionnalisme et les qualités techniques seront récompensés en 1994 par un Kodak Gold Circle Award.

Parallèlement, il complète sa formation artistique par la maîtrises de divers procédés techniques (chimie, soudure …) lui permettant d’explorer d’autres voies créatives.
En effet malgré toutes les fantaisies possibles de ses mises en scène, la 3ème dimension lui échappe encore, et c’est cette quête qui le mènera via 4 étapes, de la photographie aux mobiles animés.

  • Aux photographies vont succéder les aquarelles argentiques qui par leur toucher rugueux, introduisent un relief subtil dans sa création, permettant enfin un contact tactile avec l’œuvre photographiée : un premier pas pour l’approche de cette dernière par les malvoyants.
  • Une étape supplémentaire est franchie lorsqu’il applique au métal sa maîtrise de l’oxydation et qu’il rajoute des couches d’épaisseur pour obtenir un relief accru.
  • Une incursion dans le travail du bois lui permettra a contrario d’obtenir la forme désirée, non par l’ajout de matière mais par son évidemment.
  • Enfin, la maîtrise complète de la 3ème dimension ainsi que ses compétences en matière de soudure et de procédés d’oxydation lui ouvrent d’infinis possibles débouchant sur l’art cinétique, où la lumière, l’espace et le mouvement s’entremêlent faisant « danser la sculpture » comme le disait Marcel Duchamp (le Pape du Dadaïsme) en parlant des œuvres de Calder qu’il baptisera « mobiles ».

Concernant ses influences, il se situe dans le prolongement des Mouvements Dadaïstes et des Nouveaux Réalistes.

Aux 1er, il emprunte la subversion, la dérision, les photomontages, l’association d’éléments disparates dans le domaine des formes : des figures mécanomorphes combinant le machine et l’humain. Il fait partie des « assembleurs » qui s’intéressent aux pièces métalliques usagées, aux instruments de musique, aux vêtements féminins, à la nourriture, etc….

Parmi les plus grands « assembleurs », celui qui l’inspire tout particulièrement est Jean Tinguely, grande figure des Nouveaux Réalistes. Ce dernier se situe dans le droit fil des ready-made de Duchamp qui détourne les produits et les objets de la société qui l’entoure pour un usage esthétique. Les recherches les plus fécondes de Tinguely datent des années 50 et donneront naissance aux 1ère œuvres cinétiques tridimensionnelles, étroitement liées à l’esthétique de la machine.

« Il revient aux artistes de renoncer au romantisme poussiéreux du pinceau, de la palette, de la toile et du châssis pour s’intéresser aux machines. »

(« Manifeste » de 1952 )

Dont acte pour Robert Becker.
Photographe, il pliait le sujet de son étude à sa volonté interprétatrice ; sculpteur, il plie la forme à son désir.

Marcel Duchamp disait : « L’œil et le cerveau se suffisent ». Cet œil n’aura de cesse de hanter les œuvres de Robert Becker, comme nombreux artistes avant lui.

Dépassons un instant le « cliché » du photographe voyant/voyeur pour nous rapprocher de cet œil qu’il nous donne à voir …

Ce symbole universellement reconnu de la perception intellectuelle que l’on retrouve dans pratiquement toutes les cultures, toutes les époques et toutes les traditions (y compris chez les Francs Maçons) est à considérer dans la perspective platonicienne de la théorie du rayon visuel émis par l’œil.
Cette sorte de troisième œil, œil de l’âme /cœur est non seulement unique, mais aussi sans mobilité, lui conférant une perception globale et synthétique.
C’est l’homme voyant Dieu, mais aussi Dieu voyant l’ homme : « L’œil était dedans la tombe et contemplait Caïn …. » (Hugo).
Il correspond au soleil, au feu, au fer ….. le meilleur talisman contre le mauvais oeil est d’ailleurs le fer ou à défaut n’importe quel autre métal.

Cet œil, comme un soleil, devient le centre absolu de la connaissance et de la création
De très nombreux artistes ont été inspirés par cet « organe de la totalité » (Goethe) : artistes de l’antiquité égyptienne, Léonard de Vinci dans sa « Louange au Soleil », etc …
Mais ce sont essentiellement les artistes du courant Symboliste (William Blake, Odilon Redon …) et du Surréalisme (Max Ernst, Magritte, Dali …) qui furent les plus sensibles à cette iconographie.

De nos jours, l’œil de la caméra a fait de nous des sujets d’étude et parfois d’expérimentation (observés et enregistrés en permanence) que ce soit par le biais du « jeu » en abîme du « Loft » où par la « surveillance » à tous les niveaux de l’univers et peut-être même plus encore ….
Sondes intergalactiques, télescopes géants, satellites de contrôle et de communication, Internet, réseaux sociaux, info en continu, caméras de surveillance, lasers, scanners, IRM, radiographies, ordinateurs, portables, GPS et autres puces électroniques ….

BIG BROTHER is watching YOU !

Omniprésent, omnipotent, l’ŒIL se transforme peu à peu en une sorte de divinité intrusive et malfaisante, jusqu’à atteindre un centralisme totalitariste espionnant et traquant chaque individu dans le cauchemar littéraire de Margaret Atwood (1985) magistralement adapté en série « The Handmaid’s Tale » ( « La Servante Ecarlate » ) où les individus se saluent d’un glaçant : « Sous son ŒIL ».

Puis, dans un lent mouvement de ressac, l’artiste a suivi le cheminement inverse de sa recherche élaboratrice.

La matière s’est peu à peu allégée pour laisser place à l’essentiel : des épures simples mais toujours nimbées de gouttelettes résiduelles d’une sculpture dégagée des accumulations : la sueur du Cyclope Forgeron ?

Les formes géométriques s’imbriquent : triangles, cœurs, lanières s’entremêlent et donnent vie à des formes féminines au centre desquelles l’œil se transforme en tête.
La volute se change en formes animalières: lapin de jade, scorpion, cheval cabré, coq, taureau bondissant, colombe de la Paix comme foudroyée, oiseaux en plein vol ….

C’est tout un bestiaire familier qui s’anime sous nos yeux, sorte de galop d’essai inconscient, travail préparatoire annonciateur d’une recherche ambitieuse à dimension ésotérique : les signes du Zodiaque traditionnel et chinois.

A nous, cette fois, « d’ouvrir l’œil » pour percer les secrets de ses prochaines créations.

Elfie Roustan, Historienne d’Art

 

A la recherche tenace d´un oeil

Il y a chez Robert Marcel Becker, dans l’atelier où la scie et le marteau voisinent avec l´arc à souder, sur ses établis quelque chose de l´ouvrier d´usine, de l´ingénieur et de l´alchimiste qui se battrait avec un matériau dur et obsolète, pour lui instiller non seulement un souffle de vie, mais également son énergie personnelle.
Ses créations en fer hérissé de fines gouttelettes de métal, semblable à des milliers de larmes dorées, ainsi que ses anciennes compositions de nus pudiques sur aquarelle ou marbre font preuve d´un talent complexe et original.

Robert Marcel tend à illustrer sa propre vision du monde, des êtres et des choses. Des yeux qui attirent l’attention captent directement les sensations de l’observateur. Il aime rendre le métal plus tactile et nous invite a voir ses yeux avec nos yeux. Les surfaces rugueuses suscitent chez l´observateur le désir de toucher les contours raffinés et exigent un contact physique permettant d’apprécier les qualités luxuriantes des surfaces.

D´étranges personnages, toujours affublés d’yeux exorbitants, surdimentionels, curieux, semblent surgir d´un monde inconnu. Ses yeux nous suivent, nous observent tout au long de son oeuvre, tant plastique que cinétique, sans que nous soyons pour autant choqués.
On oublie que la plupart de ses têtes ne sont que des yeux qui épient et fouillent au plus profond de nos yeux, au tréfond de notre âme. j.m. trivaes